Annexe 9

Lettres des personnes qui ont commenté la proposition d’une différence salariale en faveur des juges puînés des cours d’appel du Canada






TRADUCTION

 

 

L’honorable

Constance R. Glube

                             

Juge en chef de la Nouvelle-Écosse

The Law Courts

C.P. 2314

Halifax, N.-É

B3J 3C8

 

 

Le 6 janvier 2004

 

 

 

Télec. : (613) 947-4442

 

M. Roderick A. McLennan, Président

Commission d’examen de la rémunération des juges

99, rue Metcalfe

Ottawa (Ontario)          K1A 1E3

 

 

 

Madame et Messieurs les Commissaires,

 

Récemment, les journaux ont donné l’impression que tous les juges des cours d’appel du Canada sont favorables au concept d’une différence salariale entre les juges de nomination fédérale des cours supérieures et les juges des cours d’appel. Une telle interprétation serait erronée.

 

            Je vous écris au nom de tous les membres de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse. Nous nous opposons de façon unanime à un écart salarial entre les juges des cours supérieures et les juges des cours d’appel. Nous croyons qu’un tel différentiel mènerait au fractionnement de la cour et nous le jugeons injustifié.

 

            Veuillez agréer mes salutations distinguées.

 

 

Constance R. Glube

TÉLÉPHONE : (902) 424-4900                                                                                              TÉLÉCOPIEUR : (902) 424-0646





TRADUCTION

 

 

L’honorable

Constance R. Glube

                             

Juge en chef de la  Nouvelle-Écosse

The Law Courts

C.P. 2314

Halifax, N.-É

B3J 3C8

 

 

Le 22 janvier 2004

 

 

 

Télec. : (613) 947-4442

 

M. Roderick A. McLennan, Président

Commission d’examen de la rémunération des juges

99 ,rue Metcalfe

Ottawa (Ontario) K1A 1E3

 

 

 

Monsieur McLennan,

 

Faisant suite à votre lettre du 13 janvier 2004, je vous confirme que tous les membres de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse sauf un (8 + 2 juges surnuméraires) désirent rendre public le fait qu’ils s’opposent aux demandes présentées dans le mémoire de M. le juge Nuss.

 

            Veuillez agréer mes salutations distinguées.

 

 

Constance R. Glube

 

 

 

TÉLÉPHONE : (902) 424-4900                                                         TÉLÉCOPIEUR : (902) 424-0646





[TRADUCTION]

 

L’honorable Madame la Juge

Bonnie L. Rawlins

 

Cour du banc de la Reine de l’Aberta

The Court House

811–4e rue S.O.

Calgary (Alberta)  T2P 1T5

Le 22 janvier 2004

 

Commission d’examen de la rémunération des juges

9e étage

99, rue Metcalfe, Ottawa (Ontario)

K1A 1E3

(par courriel : jruest@quadcom.gc.ca)

 

Madame et Messieurs les Commissaires,

Je suis membre de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta. Normalement, je ne présenterais pas mes observations à la Commission quadriennale ainsi, de façon individuelle; si je m’y sens contrainte cette fois, c’est en raison de l’importance de certains mémoires que vous avez reçus concernant la rémunération et les prestations accordées aux juges, ainsi que de la proposition qui vous a été faite relativement à un différentiel salarial pour les juges des cours d’appel à travers le Canada, et à cause des assises de la récente commission des juges provinciaux de l’Alberta. Ma prise de position est fort simple : la hiérarchie importe, et ce, à tous les échelons du système judiciaire; en conséquence, elle devrait se refléter dans la rémunération accordée aux juges à chacun des échelons.

 

Le système judiciaire est fondé sur la hiérarchie, à l’instar d’ailleurs de toute corporation, de tout gouvernement ou organisme. La hiérarchie a sa raison d’être : elle est le reflet direct d’une réalité juridique qui veut que les fonctions et obligations imposées aux membres des divers tribunaux changent à mesure qu’une cause progresse dans les échelons hiérarchiques. Il en va de même pour les conséquences de la décision prise par chaque niveau de tribunal. Traditionnellement, et comme il se doit d’ailleurs, à l’exception des cours d’appel, il a toujours existé un écart salarial entre les différentes cours de justice. Il est incontestable qu’un tel écart est justifié de par la nature des rôles et obligations que doivent assumer ceux et celles qui sont nommés à ces postes. Personne n’oserait prétendre, par exemple, qu’un commissaire à la circulation fait le même travail qu’un juge de la Cour suprême du Canada, ni qu’il aurait droit à la même rémunération.

 

Sans vouloir diminuer d’aucune façon l’importance et la valeur du travail accompli dans une cour où le juge s’occupe du rôle, la réalité est qu’une journée passée aux tâches du rôle n’est nullement comparable à une journée passée à présider un procès pénal multipartite avec jury, ou un procès qui traite d’un différend complexe dans le domaine du pétrole, avec des centaines de documents, car ces deux types de procès peuvent durer des mois. La formation ou l’intelligence des juges d’une quelconque cour ne sont pas remises en question ici. L’enjeu concerne plutôt la nature du travail accompli aux divers échelons du système judiciaire. Il en est de même à chaque niveau de l’échelle judiciaire, du juge de paix au commissaire à la circulation, à la cour provinciale, au tribunal de première instance, à la Cour d’appel, et finalement à la Cour suprême du Canada. Un juge de paix peut très bien être aussi intelligent qu’un juge du tribunal le plus élevé, mais les rôles et les obligations imposés à chacun diffèrent de façon marquée, tout comme les conséquences des décisions rendues.

 

Le Parlement et les assemblées législatives chargent les juges de première instance nommés en vertu de l’article 96 de certaines responsabilités pouvant, à juste titre, être qualifiées de plus complexes que celles assignées aux cours provinciales. Ceci est d’autant plus vrai que les cours de première instance constituent, pour la majorité des décisions de ces cours provinciales, une cour d’appel. Les juges de première instance devraient donc recevoir une rémunération qui correspond à ces responsabilités et à cette compétence d’appel. Traditionnellement, l’écart salarial a été fixé à 20 % de plus que le salaire payé aux juges des cours provinciales, ou à une somme égale au point médian des salaires des sous-ministres aux niveaux les plus élevés. Il n’y a aucune raison valable de s’éloigner de ces paramètres. En Alberta par exemple, si j’ai bien compris, la Provincial Court Judges Commission a recommandé récemment le maintien du différentiel salarial entre les salaires des juges de la Cour provinciale et celui des juges nommés en vertu de l’article 96. La rémunération recommandée pour les juges de la Cour provinciale est de 210 000 $ à compter du 1er avril 2004, et de 220 000 $ à compter du 1er avril 2005. Je tiens pour acquis que vous avez déjà reçu les renseignements voulus sur le salaire actuel et les prestations dont bénéficient la majorité des sous-ministres au gouvernement fédéral.

 

Pour les raisons énoncées ci-haut, j’appuie pleinement la proposition d’accorder un salaire majoré aux juges des cours d’appel qui sont appelés à exécuter toutes les tâches en appel qui leur sont assignées. Ces tâches se rapprochent, autant dans la forme que dans le fond, du genre de travail qu’accomplit la Cour suprême du Canada. En fait, dans plus de 95 % des causes entendues et réglées dans chaque province canadienne, la cour d’appel devient effectivement la cour du dernier recours. Je demeure convaincue que plusieurs seraient étonnés d’apprendre que les juges des cours d’appel ne reçoivent pas, à l’heure actuelle, de salaire majoré. J’engage vivement la Commission à corriger cette injustice. Vous savez peut-être qu’en Alberta, les juges des cours de première instance siègent à l’occasion et au besoin en cour d’appel, mais cette situation ne devrait en aucune façon porter atteinte au principe d’un différentiel salarial.

 

Le fait de reconnaître l’existence d’une hiérarchie judiciaire, et d’accorder aux titulaires de postes une rémunération conforme à leur place dans cette hiérarchie n’exercera aucune influence négative sur la collégialité entre les juges des divers échelons du système judiciaire. Sans aucun doute, lorsqu’un juge est de bonne foi, indépendamment de la cour où il siège, il ne peut que reconnaître que le travail de ceux qui ont la compétence judiciaire d’infirmer ses décisions mérite une majoration salariale appropriée.  Une telle majoration encouragerait tous les juges à s’efforcer d’atteindre, ou à accepter, une nomination à une cour plus élevée, non seulement pour l’augmentation salariale, mais pour les rôles et responsabilités accrus.

 

Toutefois, si jamais le principe de la hiérarchie entraînant un différentiel salarial afférent était rejeté, et si le principe directeur adopté voulait que tous les juges reçoivent la même rémunération, nonobstant le poste qu’ils occupent ou les responsabilités dont ils s’acquittent, un souci d’équité exigerait que les salaires des juges soient fixés au plus haut niveau des cours,      c.-à-d. à celui du salaire payé aux juges de la Cour suprême du Canada; qui plus est, toute augmentation prévue aurait ce niveau comme point de départ. Il n’y aurait aucun argument de principe qui justifierait une autre façon de procéder. Ce seul argument devrait suffire à illustrer mon point de vue.

 

Pour conclure, j’appuie le principe de la hiérarchie dans le système judiciaire, à partir des juges de paix jusqu’à la Cour suprême du Canada, et j’appuie le principe d’un différentiel salarial approprié à chaque niveau du système.

 

Veuillez agréer l’expression de mes salutations distinguées.

 

B. L. Rawlins

 





TRADUCTION

 

L’honorable juge

John D. Rooke

 

Cour du banc de la Reine

The Court House

611-4e rue S.O.

Calgary, Alberta

t2p 1t5

téléphone (403) 297-7223

télécopieur (403) 297-7536

 

Le 15 janvier, 2004

 

M. Roderick A. McLennan, c.r.

Président

Commission d’examen de la rémunération des juges

9e étage, 99, rue Metcalfe

Ottawa (Ontario)  K1A 1E3

Transmis par télécopieur au (613) 947-4442, par courriel et par la poste en 10 copies

 

 

Monsieur McLennan,

 

Objet : Commission d’examen de la rémunération des juges – 2003

 

            Je vous écris afin de porter à l’attention de la Commission une soumission écrite de Monsieur le juge Berger de la Cour d’appel de l’Alberta et déposée le 16 décembre 1999 auprès de la Commission de 1999, laquelle soumission traite de la question d’un différentiel de salaires pour les juges des cours d’appel du Canada. Un examen de votre site Web www.quadcom.gc.ca révèle qu’une copie de cette lettre est toujours disponible dans vos archives.

 

            Bien que je laisse à la Commission le soin de formuler une recommandation, et, le cas échéant le type de recommandation à formuler sur cette question non urgente, je crois que vous auriez intérêt à prendre connaissance des commentaires perspicaces (de M. Berger), qui, à mon avis, s’avèrent tout aussi valides aujourd’hui qu’au moment où ils ont été écrits.

 

            Je note, comme M. le juge Berger le souligne, que le Tableau de la préséance pour le Canada ne reconnaît aucune hiérarchie distincte en droit entre les juges puînés des cours d’appel et des cours supérieures.

 

            Je vous recommande d’étudier la lettre de M. le juge Berger dans le cadre de vos délibérations à ce sujet.

 

            Je ne souhaite faire aucune présentation orale lors des audiences publiques prévues.

 

            Veuillez agréer mes salutations distinguées.

 

 

John D. Rooke

 

c.c.           L’honorable C.A. Fraser, juge en chef de l’Alberta, L’honorable A.H.J. Wachowich, juge en chef de la Cour du Banc de la reine, L’honorable A.B. Sulatycky, juge en chef adjoint de la Cour du Banc de la reine, L’honorable juge R.L. Berger





 

 

The Honourable Ronald L. Berger

Justice of Appeal

L’honorable Ronald L. Berger

Juge de la Cour d’appel

 

COURT OF APPEAL OF ALBERTA

COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

 

 

The Law Courts

Edmonton, Alberta

T5J 0R2

 

 

Le 16 décembre 1999

 

 

Commission d’examen de la rémunération des juges

99, rue Metcalfe

8e étage

Ottawa (Ontario)  K1A 1E3

 

 

ÉCART SALARIAL ENTRE LES TRIBUNAUX
DE PREMIÈRE INSTANCE ET LES TRIBUNAUX D’APPEL

 

Madame et Messieurs les Commissaires,

 

            Je crois comprendre que l’on pourrait demander à la Commission quadriennale d’examiner la question de l’écart salarial entre les juges des tribunaux de première instance et les juges des tribunaux d’appel. En tant que juge puîné de la Cour d’appel de l’Alberta, je souhaite me prononcer contre une telle mesure. Bien que d’autres partagent peut-être mon point de vue, les opinions qui suivent sont entièrement les miennes et je ne représente aucune organisation ni aucun groupe de juges.

 

            J’ai eu le privilège de siéger en Cour du banc de la Reine de l’Alberta de 1985 à 1996. Le brevet de Sa Majesté nomme expressément tous les juges du Banc de la Reine comme membres d’office de la Cour d’appel. Dans cette compétence, les membres de la Cour du banc de la Reine continuent, à ce jour, de participer à des audiences normales et à des audiences d’appel de sentence de la Cour d’appel. Cette pratique est fidèle à la tradition établie dans cette province. Avant la création de la Cour du banc de  la Reine en 1979, année de la fusion des cours de district et de la cour de première instance de la Cour suprême de l’Alberta, cette dernière était une cour supérieure à deux divisions : la cour de première instance et la cour d’appel. Mise à part la question de stare decisis, il n’y existait aucune distinction hiérarchique. En fait, l’ordre de préséance fédéral des juges des cours supérieures de l’Alberta est établi en fonction de la date de nomination plutôt qu’en fonction de l’appartenance à l’une ou l’autre des cours.

 

            Cette tradition fortement ancrée nous a toujours bien servis. Elle a amélioré la collégialité et a encouragé le respect mutuel. Qui plus est, et d’ordre plus important, les raisons politiques et opérationnelles bien fondées qui sous-tendent cette culture juridique traditionnelle ont favorisé des interactions éducatives et informatives entre les membres des deux cours.

 

            J’ai discuté de la question de l’écart salarial avec de nombreux juges des cours de première instance de l’Alberta. Il ne serait pas faux d’avancer que l’adoption d’un écart salarial serait susceptible de détruire l’esprit actuel de bienveillance, de collégialité et d’interaction que nous avons travaillé si fort à réaliser.

 

            Il existe aussi de nombreuses raisons pratiques qui militent en faveur du rejet de la proposition. Si les juges de première instance, en application de leurs brevets, devaient continuer à siéger aux audiences des cours d’appel, on pourrait soutenir qu’un écart salarial parmi les juges puînés effectuant cette tâche additionnelle serait inconstitutionnel. Certains ont mentionné qu’une solution possible consisterait à verser une indemnité quotidienne ou une prime ponctuelle aux juges de première instance participant à une audience de la Cour d’appel. Si une telle mesure était adoptée, le spectre de l’inégalité salariale parmi les juges de première instance serait fort inquiétant. J’ose d’ailleurs respectueusement prétendre que cette idée mérite d’être rejetée énergiquement.

 

            D’autre part, si les promoteurs de l’écart salarial songent à ce que les juges de première instance ne fassent plus partie de la formation d’audience de la cour d’appel sur une base ponctuelle, je me demande si l’accord des gouvernements provinciaux serait requis. Afin de mieux illustrer le point, voici l’article 9 de la Loi sur la Cour d’appel de l’Alberta :

 

            [Traduction] « Un juge de la Cour du banc de la Reine peut siéger ou agir

 

(a)       à la place d’un juge absent

(b)      si le poste d’un juge est vacant,

(c)       ou en tant que juge additionnel,

 

à la demande d’un juge de la Cour d’appel. »

 

            On peut soutenir qu’il existe d’autres questions d’ordre constitutionnel devant faire l’objet d’un examen. Tel qu’il est énoncé ci-dessus, tous les juges de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta sont des membres d’office de la Cour d’appel. Ils sont en fonction à titre inamovible. Propose-t-on de révoquer leurs nominations d’office? Quelles mesures constitutionnelles seraient utilisées à cette fin? Si l’on ne prévoit aucune révocation, a-t-on l’intention de rendre inopérantes les nominations d’office par quelque moyen autre que constitutionnel?

 

            Certains ont aussi soutenu que la nature du travail de la dernière cour d’appel d’une province justifie un écart salarial. J’ose affirmer que cet argument ne constitue pas en soi une raison justifiant suffisamment cette proposition. Les membres d’une cour d’appel siègent en groupe et se partagent la charge de travail et les responsabilités. Les juges de première instance travaillent seuls, souvent loin de leur domicile, dans des conditions de travail loin d’être idéales et doivent souvent prendre des décisions complexes et difficiles sans avoir l’occasion ni le réconfort intellectuel d’en discuter avec leurs collègues. Les juges de première instance doivent porter seuls le fardeau de leurs décisions et accepter seuls la publicité et la critique résultantes. Les juges de la cour d’appel ont une responsabilité collective et, par conséquent, font rarement l’objet d’une critique individuelle.

 

            Outre les dispositions précédentes, je vous exhorte à remettre en question l’affirmation voulant que la charge de travail des juges des cours d’appel soit plus exigeante que celle des juges de première instance. Nul n’oserait contester la proposition selon laquelle les juges des cours d’appel doivent faire beaucoup plus de lecture et rédiger beaucoup plus de jugements. Mais ce serait une erreur que de comparer la pomme de la Cour d’appel à l’orange du tribunal de première instance. Je me souviens bien d’une soirée passée à une table de cuisine bancale à 2 h du matin à St. Paul, en Alberta, à tenter de composer mes directives au jury, dues à 10 h, qui traitaient, entre autres, de légitime défense, de provocation, d’ivresse, de témoins de moralité douteuse et de preuves de faits similaires. Si j’avais dû, dans cette situation, réfléchir sur la question, j’aurais peut-être défendu l’écart salarial à l’avantage des juges de première instance.

 

J’espère que vos délibérations seront fructueuses.

 

            Recevez, Madame et Messieurs les commissaires, mes salutations distinguées.

 

 

Ronald L. Berger

 

Télécopié – copie papier à suivre.






TRADUCTION

 

 

 

THE LAW COURTS

800 SMITHE STREET VANCOUVER, B. C.

V6Z 2E1

 

 

THE HONOURABLE MR. JUSTICE

D. W. SHAW

 

 

 

THE SUPREME COURT

OF BRITISH COLUMBIA

 

Le 16 janvier 2004

 

La Commission d’examen de la

 rémunération des juges

99, rue Metcalfe

Ottawa (Ontario) K1A 1E3

 

Madame et Messieurs les Commissaires,

 

Je veux par la présente réagir au mémoire présenté au nom de nombreux juges des cours d’appel pour l’obtention d’un traitement salarial différent entre les juges des cours d’appel et les juges nommés par le gouvernement fédéral à des cours de première instance. La demande en question porte la date du 3 décembre 2003 et le juge Nuss, de la Cour d’appel du Québec, en est le coordonnateur.

 

À mon humble avis, la différence de traitement entre les juges de ces deux niveaux judiciaires que propose le mémoire coordonné par le juge Nuss n’a pas de raison d’être.

 

L’égalité de traitement entre ces deux niveaux judiciaires existe depuis toujours au Canada. Cette égalité a bien fonctionné et rien ne donne à penser qu’il ne continuera pas d’en être ainsi. Pour dire les choses simplement, il n’y a aucune raison impérieuse d’apporter un changement.

 

La principale raison invoquée en faveur d’un changement est que notre système judiciaire est hiérarchique. Bien que cette assertion soit vraie, elle ne donne pas un tableau complet de la situation. Un examen des responsabilités respectives des juges de ces deux niveaux permet d’établir la comparaison sur une base plus révélatrice.

 

Le travail du juge de première instance comprend à la fois l’établissement des faits et du droit. Il entend les témoins faire leur témoignage, il soupèse la preuve soigneusement et, au vu de cette preuve, il tire des conclusions de fait. Les juges nommés par le gouvernement fédéral aux cours de première instance président tous les procès avec jury, y compris les procès pour meurtre, avec tout le stress qui accompagne ce genre de procès. Les juges des cours de première instance sont aussi responsables du contrôle judiciaire, procédure par laquelle les cours s’assurent que les gouvernements respectent la règle de droit. C’est encore eux qui assument le gros des responsabilités en ce qui a trait à la plupart des procès importants au Canada, par exemple, le procès d’une bande de motards au Québec et celui concernant Air India en Colombie-Britannique, pour n’en nommer que deux.

 

Je ne veux pas dire que les responsabilités assumées par les autres juges au Canada ne sont pas lourdes : elles le sont.

 

J’examine maintenant les cours d’appel. Ces dernières ont pour principale responsabilité d’agir à titre de cours de révision. Si le juge de première instance s’est trompé, les cours d’appel peuvent rendre toute ordonnance propre à la rectification de l’erreur. Les cours d’appel ont aussi la responsabilité d’interpréter et de faire évoluer le droit. Bien que ce soit là une tâche qu’elles partagent avec les cours de première instance, il s’agit d’une responsabilité qui incombe davantage aux cours d’appel. Il peut arriver que les cours d’appel révisent les conclusions de fait tirées en première instance, mais cela est plutôt rare vu que les juges des cours d’appel considèrent que le juge de première instance a eu l’avantage d’entendre les témoins, de soupeser leurs témoignages soigneusement et de tirer les conclusions de fait qui s’imposent.

 

Ce qui ressort de cet exercice comparatif, c’est que les juges des cours de première instance et les juges des cours d’appel ont des responsabilités et des types de travail très différents. Ce n’est pas une simple question de hiérarchie. Les différences sont bien plus significatives que cela. Cependant, quant à moi, le niveau de travail et de responsabilité est à peu près égal.

 

Le mémoire Nuss fait valoir que, en pratique, les cours d’appel sont effectivement le tribunal de dernière instance dans environ 98 % des instances au Canada. Je me dois ici, bien respectueusement, de faire remarquer que cela met sur une fausse piste. Pour la plupart des parties à un litige, les cours de première instance sont la cour de dernière instance. Il en est ainsi parce que, dans la plupart des litiges, la décision rendue par le juge en première instance clôt le litige et que la cause n’est jamais portée en appel.

 

Le mémoire Nuss donne à entendre qu’un objectif important sur le plan institutionnel serait servi si l’on encourageait les juges de première instance « à gravir les échelons de la hiérarchie judiciaire en leur procurant un incitatif additionnel ». À mon humble avis, je ne vois pas sur quoi cela repose. Je crois qu’une différence de traitement ne changera rien à la disponibilité et à la qualité des juges de première instance qui sont prêts à accepter une nomination à une cour d’appel.

 

Le mémoire Nuss invoque la différence de traitement accordée aux juges de la Cour suprême du Canada. Je suis plutôt d’avis que cette différence de traitement n’est pas significative. Il est notoire que les juges de la Cour suprême ont une charge de travail et des responsabilités qui sont nettement supérieures à celles qui sont normalement confiées aux juges de première instance et des cours d’appel.

 

Le mémoire Nuss fait remarquer qu’il existe des différences de traitement entre les juges de première instance et les juges des cours d’appel dans de nombreux autres ressorts. Le fait que nous agissions différemment ne signifie pas que nous ayons tort.

 

Et cela me ramène au point que je considère essentiel. Nous avons, au Canada, un système qui a fait ses preuves au cours de l’histoire. Il n’a pas été démontré de façon impérieuse que ce système doit être changé.

 

Veuillez agréer, Madame et Messieurs les Commissaires, l’expression de mes sentiments distingués.

 

 

 

Le juge Duncan W. Shaw

 






 

TRADUCTION

 

 

THE LAW COURTS

800 SMITHE STREET VANCOUVER, B. C.

V6Z 2E1

 

 

THE HONOURABLE MR. JUSTICE

D. W. SHAW

 

 

 

THE SUPREME COURT

OF BRITISH COLUMBIA

 

 

 

Le 23 janvier 2004

 

 

La Commission d’examen de la

 rémunération des juges

99, rue Metcalfe

Ottawa (Ontario) K1A 1E3

 

Madame et Messieurs les Commissaires,

La présente fait suite à ma lettre du 16 janvier 2004, dans laquelle j’exprime mon désaccord quant à la création d’une différence de traitement entre les juges nommés par le gouvernement fédéral selon qu’ils sont nommés à une cour de première instance ou à une cour d’appel. J’ai depuis demandé par courrier électronique l’avis de mes collègues de la Cour suprême de la Colombie-Britannique quant à savoir s’ils sont d’accord ou en désaccord quant aux idées que j’ai exposées dans ma lettre. La Cour compte actuellement 99 membres. Jusqu’à maintenant, j’ai reçu 68 réponses : 64 membres ont exprimé leur accord, 4, leur neutralité. Aucun membre n’a fait sienne la thèse qu’il devrait y avoir une différence de traitement.

 

Veuillez agréer, Madame et Messieurs les Commissaires, l’expression de mes sentiments distingués.

 

Le juge Duncan W. Shaw